GdR 3359 Modélisation des Dynamiques Spatiales


POSITIONNEMENT SCIENTIFIQUE

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POSITIONNEMENT SCIENTIFIQUE

La place de la modélisation spatiale dans les différentes disciplines des SHS est évidemment fonction du lien plus ou moins fort qu'elles entretiennent avec l'espace. Les géographes, qui sont les concepteurs de l'essentiel des outils, et qui animent les débats méthodologiques à travers des congrès et des revues spécialisés, y jouent naturellement un rôle de premier plan. Ils ont ouvert la voie aux archéologues, dont les données sont, par nature, localisées, et qui ambitionnent depuis longtemps d'être les géographes du passé. Les méthodes d'analyse spatiale élaborées par les géographes se sont répandues chez les archéologues dès les années 70, mais le phénomène a pris une ampleur nouvelle dans les années 90 avec le développement des Systèmes d’Information Géographique (SIG). Ces systèmes ont joué un rôle intégrateur : ils constituent de puissants vecteurs de l'interdisciplinarité, dans la mesure où ils obligent à structurer des données multi-sources dans un même système d'information, et donc à définir leur échelle, leur représentativité et leur résolution afin de pouvoir les croiser avec celles d'autres disciplines.

L'intérêt pour la spatialité s'est diffusé dans d'autres disciplines avec lesquelles l'archéologie entretient des relations privilégiées, notamment l'histoire et les sciences du paléoenvironnement.

Jusqu'à très récemment, l'espace ne constituait pas un objet de recherche pour les historiens. Le référencement géographique des mentions textuelles qu'ils utilisaient n'était pas fondamental, et ils ne s'interrogeaient guère sur la représentativité spatiale des sources écrites. Des colloques et publications récentes (Histoire & Mesure, Le médiéviste et l'ordinateur) témoignent d'une évolution dans ce domaine : les phénomènes historiques sont désormais, plus que par le passé, analysés selon leur composante spatiale.

C'est sans doute également la collaboration avec les archéologues qui a conduit les spécialistes du paléoenvironnement à changer d'échelle et à s'intéresser à la caractérisation des activités humaines. Les palynologues s'attachent ainsi à donner une meilleure résolution spatiale et temporelle aux données polliniques en multipliant les prélèvements et en travaillant sur de petites tourbières qui enregistrent la végétation locale. Dans le même temps, l'ouverture de plusieurs revues de géographie aux sciences historiques (Mappemonde, Géocarrefour) traduit la volonté de prendre en compte la longue durée.

L'appropriation par les archéologues et les historiens des méthodes de l'analyse spatiale développées dans le domaine de la géographie constitue un changement de perspective dans les modalités de construction des connaissances. La modélisation est utilisée comme outil scientifique de représentation d’une réalité observée, l’abstraction et la simplification qu’elle nécessite contribuant à en comprendre les propriétés. Elle permet de tester les hypothèses par la simulation de scénarios construits sur la base de ces hypothèses. Cette procédure de recherche heuristique s’inscrit dans un aller-retour constant entre inductif et déductif. Quelle que soit l'échelle considérée, que l'on s'intéresse à un élément d'architecture, au bâtiment, à un quartier, une ville ou un paysage, la démarche modélisatrice implique de formaliser son objet d'étude de manière univoque selon une identification et une description rigoureuse. C’est, par exemple, transformer la description détaillée des artefacts archéologiques mettant en évidence l’existence d’un atelier de potiers en structure de production, quartier artisanal, fonction d’échange et de commerce selon l’échelle d’analyse. Ou encore, c’est traduire les caractéristiques d’un établissement humain (fonctions des bâtiments identifiés, datation, emprise spatiale…) en critères de hiérarchisation dans un réseau d’habitat. Les modèles construits sur cette base mettent en évidence les structures élémentaires nécessaires à la compréhension des phénomènes ou des objets complexes étudiés.

La multiplicité des sources, l’inscription des phénomènes dans la longue durée révélant des temporalités multiples, les échelons géographiques d’analyse soulèvent de nouvelles questions pour l’application des concepts de l’analyse spatiale aux sciences historiques. Ces questions nécessitent de mobiliser une communauté interdisciplinaire autour d’un projet commun permettant d’une part de fédérer des expériences et point de vues divers, d’autre part de relayer ces développements et savoir-faire au sein d’une communauté non spécialiste de ces méthodes. C’est ce qui fonde la création d’un GdR interdisciplinaire au sein de l'InSHS.

La multiplication des projets collectifs (ACI puis ANR) à l'initiative d'archéologues et faisant appel à l'analyse et la modélisation spatiales (Archaeomedes 1 et 2, ACI puis ANR ArchaeDyn, ANR MODELESPACE) montre le dynamisme des recherches dans ce domaine. La communauté pluri-disciplinaire concernée a fait la preuve de sa capacité à travailler en réseau. L'activité qui en résulte (colloques, écoles thématiques, formations et séminaires), contribue largement à l'animation scientifique de la recherche française sur les dynamiques spatiales et les processus spatio-temporels et s'inscrit dans des réseaux internationaux. Elle se traduit également par de nombreuses publications dans des revues nationales et internationales. Afin de capitaliser et de développer ces avancées, le besoin d'un réseau institutionnalisé s'est fait sentir. Si l’analyse spatiale a forgé déjà depuis longtemps ses concepts et ses outils, intégrant une dimension spatiale « active » et valorisant ses effets, la dimension temporelle apparaît le plus souvent comme « support ». L’enjeu est de poser les bases nécessaires au développement d’un point de vue complémentaire, intégrant l’approche spatiale, mais privilégiant la formalisation de la dimension temporelle et la complexité des relations qu’entretiennent les événements, les temporalités, observés dans des sources multiples et lacunaires. L’implication et la formation des doctorants dans un tel groupe est indispensable à la diffusion de ces points de vue, pour leur permettre de confronter leurs sources et leurs analyses à celles d'autres disciplines et d'approfondir leurs questionnements autour d'outils scientifiques communs. Enfin le GdR doit permettre à cette communauté de se structurer pour avoir une lisibilité internationale autour de ces approches originales.

PROGRAMME

Les diverses disciplines des SHS constituent autant de domaines d'application utilisant l’information spatiale à différentes échelles, celle du bâtiment, de la commune rurale, de la ville, de la région ou du pays.

L’archéologie, parce qu’elle s’intéresse aux questions d’interface sociétés-milieux, mobilise des données issues de sources très diverses, avec de nombreuses combinaisons d'échelles spatiales – échelles temporelles nécessitant le développement de méthodes et d'outils spécifiques.

L'interrogation diachronique du lieu bâti ou aménagé, que cela soit aux échelles du paysage, de la ville ou de l’édifice, intègre des contraintes de modélisation et d’analyse spatiale fondées sur des données souvent incomplètes ou incertaines. Le rassemblement des indices subsistants permet néanmoins de comprendre, au-delà de la description d'une entité spatiale, la fabrique et les transformations du lieu dans l'espace, le temps et la société.

Les modèles dynamiques développés par les géographes ont en général pour objectif d'expliquer un phénomène observé ou de simuler les configurations spatiales à venir à des fins prospectives. Leur utilisation à partir de jeux de données archéologiques ou historiques répond à deux types d'interrogations, toujours en connaissance imparfaite. La première consiste à partir d'un état des lieux à une date donnée dans le passé, à modéliser la trajectoire du phénomène observé. La seconde est une modélisation rétrospective. Dans les deux cas, l'objectif est de tester la robustesse d’un état des connaissances initial et de tenter de comprendre les transformations spatio-temporelles qui interviennent dans sa constitution et dans son devenir.

L’un des obstacles à franchir est directement lié à la problématique du changement d'échelle des objets d'étude constituant l'espace. La focale d’analyse choisie pour aborder les transformations spatio-temporelles détermine la granularité des descripteurs dans trois dimensions : thématique (le plus souvent fonctionnelle), spatiale et temporelle. Dans l’étude des réseaux d’habitat et des terroirs par exemple, la macro-échelle fait souvent apparaître des continuités (avec de légers déplacements ou des restructurations sur le temps long), là où la micro-échelle fait apparaître des ruptures. Le phénomène de nucléation de l’habitat (incastellamento, encellulement) peut être ainsi lu comme une mutation brutale, ou bien la résultante d’une série complexe de transformations, étalées dans le temps et aux tendances parfois contradictoires.

En réponse, et eu égard à la spécificité des objets d'études considérés, le GdR MoDyS se structure ses travaux le long de deux axes originaux dans l'appréhension de la modélisation des dynamiques spatiales.

Axe 1, multi-temporalités et longue durée

Le temps long (de la Préhistoire aux temps présent et futur) dans les interactions sociétés-espaces, sociétés-milieux et dans les systèmes de peuplement concerne l’étude des transformations, des mutations, des inerties, des héritages et des trajectoires. Il s'agit d'un enjeu primordial pour les recherches sur le développement durable dont les connaissances de référence portent sur des périodes de quelques siècles, voire de quelques dizaines d'années au mieux. Les exemples d'aménagement de plaine ou de pollution des sols dont l'origine est antique illustrent l'importance de la prise en compte du temps long dans les modélisations prospectives.

Cet axe regroupe plusieurs aspects méthodologiques, véritables verrous pour l’étude et la comparaison de phénomènes sur la longue durée :

Dans l'étude des dynamiques spatiales, le temps est généralement associé au mouvement ou au changement d’état, le plus souvent pour des durées courtes. Ces travaux sont utilisés pour gérer l’historique de formes ou de phénomènes de manière à restituer des états successifs ou encore pour proposer des représentations dynamiques sous forme de cartes animées. Dans le meilleur des cas, le temps contribue à l’analyse et à l’explication des phénomènes spatiaux étudiés malgré la nécessité bien identifiée d'envisager une conception relative de l'espace intégrant le temps. A l'instar de l'espace, le temps est alors un temps support au cours duquel s'inscrivent les phénomènes observés dans l'espace. Quand les phénomènes sont abordés sous un aspect spatio-temporel, le temps est un des éléments qui structurent l’espace. C’est cette démarche qui est mise en œuvre pour l’explication des processus, des trajectoires, des dynamiques, le plus souvent dans des études portant sur un temps court. La prise en compte du temps est alors tellement liée à l’espace que la question de sa propre modélisation ne se pose pas. L’omniprésence du temps dans les phénomènes étudiés constitue même un frein à sa formalisation et à sa modélisation dans nos disciplines historiques. Les archéologues par exemple ont peu formalisé leur approche temporelle au-delà de l'échelle de la fouille et des questions de datation. Les formalismes de représentation et de raisonnement sur l'espace et le temps développés dans le domaine de l'intelligence artificielle n'ont pas eu d'écho en sciences historiques.

L'objectif des géographes de passer d'un espace support aux interactions spatiales puis à l'étude des dynamiques spatiale, comme l'a énoncé Denise Pumain, a très largement contribué à la formalisation des processus spatio-temporels et à leur méthode d'analyse. Les archéologues qui ont fondé leur appréhension de l'espace sur les travaux des géographes ont très naturellement abordé de la même manière la question des dynamiques spatiales. Les résultats obtenus constituent des avancées considérables tant du point de vue méthodologique que de celui de la compréhension des phénomènes historiques. Néanmoins, en assujettissant systématiquement le temps à l'espace, il n'est pas possible de rendre compte des multiples temporalités des objets historiques. L'objectif est de passer du temps support, qui est le temps linéaire et figé dans lequel nous inscrivons les objets historiques comme nous les localisons dans l'espace, aux dynamiques temporelles restituant les temporalités observées empiriquement. Les champs d’application seront en priorité ceux traités au sein des programmes collectifs : dynamiques temporelles des terroirs lues aux prismes des réseaux de peuplement, des trames parcellaires, des pratiques d’amendement ou des enregistrements fiscaux, par exemple, trajectoires temporelles des villes…, Après un nécessaire travail de formalisation des concepts, les méthodes d'analyse de ces temporalités seront à développer. Ce changement de perspective nous semble être une étape nécessaire pour fonder l’étude des dynamiques sur des analyses dans lesquelles le temps et l’espace ont la même valeur. L’entrée se fera alors par l’objet d’étude et non par l’une de ses caractéristiques.

Axe 2, incertitude et multi-représentations

La question récurrente de la prise en compte de l'incertitude des données dans les systèmes d'information trouve son origine dans la grande diversité des sources mises en œuvre pour travailler dans la longue durée. Les problèmes à traiter sont de trois ordres :

Dans l’étude du patrimoine bâti par exemple, le développement des technologies de l’information et de la communication a contribué à améliorer les conditions dans lesquelles sont organisés, représentés et distribués les jeux de connaissances. La compréhension de l’édifice aux différentes échelles (corpus des objets, logique du tissu urbain, architecture urbaine, …), s’appuie non seulement sur une analyse du bâti mais aussi sur une analyse de ses transformations, et sur la prise en compte des doutes à ce sujet. Au-delà des progrès faits notamment en matière d’acquisition de données 3D, les formalismes informatiques et les modèles restent à interroger pour associer à l’étude une évaluation des sources et de la lisibilité des maquettes 2D ou 3D. Plus généralement, à l’heure où le rôle et l’évaluation de métaphores graphiques comme moyen de trier et/ou d’accéder à des jeux de données sont largement abordés dans le champ de la visualisation d’informations, il apparaît nécessaire de s'interroger sur la représentation même et sa capacité, dans le champ de l’architecture et au-delà, à traduire graphiquement sur un territoire donné les incertitudes.

L'étude des sociétés dans la longue durée fait appel à des sources hétérogènes issues d'une grande variété de champs disciplinaires : données produites par l'archéologie de terrain (fouilles, prospections), modélisation 3D de bâtiments en élévation, sources écrites antiques, médiévales et modernes, données planimétriques (images satellitaires, photographies aériennes, cartes et plans anciens ou récents), recensements, données statistiques, données environnementales. Ces sources, toujours lacunaires, ont des niveaux de résolution spatiale et temporelle très divers. Dans la mise en oeuvre des systèmes d'information, le processus d’évaluation et de réduction d'incertitudes de cette masse d'intrants hétérogènes est encore très peu formalisé et pose des problèmes spécifiques. La multi-représentation d'hypothèses, prenant en compte le degré de fiabilité spatio-temporelle des informations, apparaît comme une voie possible, mais une voie qui ne doit pas ignorer des questions sous-jacentes encore à déchiffrer : Comment modéliser l’information géographique quand les données initiales sont hétérogènes et issues de sources très disparates et lacunaires ? Comment gérer et représenter la variabilité de la précision des objets spatiaux décrits dans le système d’information, variabilité de la précision qualifiée selon des degrés de fiabilité de l’interprétation et/ou de la localisation et/ou de la datation ? Y a-t-il une hiérarchie à établir entre les hypothèses ? Selon quels critères ? Comment gérer de façon lisible un jeu d’hypothèses, c'est-à-dire une combinatoire d’indices, en distinguant clairement la crédibilité globale de l’hypothèse de la somme des fiabilités des indices choisis ?

La possibilité de gérer, représenter, visualiser et décrire cette incertitude serait le moyen de prendre en compte les différentes hypothèses possibles quand on cherche à comprendre des phénomènes du passé ou du présent. Des typologies générales pour visualiser l’incertitude ont été développées dans le champ de l’analyse de l’information. Leur transfert est à envisager dans le cadre de l'interface disciplinaire de MoDyS, où les champs d’application imposent leurs logiques propres.

En outre, la capitalisation de l’effort d’analyse produit dans l’étude d’un lieu est un enjeu majeur. Là encore, l'interdisciplinarité peut largement favoriser une meilleure appréhension des contraintes et dépendances qu’entraîne l’adoption de telle ou telle solution.

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Dernière mise à jour : 04-03-2013
Webmestre : Olivier Marlet
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